Le statut d'auto-entrepreneur offre une grande flexibilité et simplicité pour exercer une activité indépendante. Cependant, la question de la collaboration entre auto-entrepreneurs soulève souvent des interrogations. Est-il possible pour deux micro-entrepreneurs de travailler ensemble sur des projets communs ? Quelles sont les modalités pratiques et juridiques à respecter ? Cet article fait le point sur les possibilités et les précautions à prendre pour une collaboration réussie entre auto-entrepreneurs.

Cadre juridique de la collaboration entre auto-entrepreneurs

D'un point de vue légal, rien n'interdit à deux auto-entrepreneurs de travailler ensemble ponctuellement. Cependant, il faut veiller à respecter certaines règles pour ne pas risquer une requalification de la collaboration en société de fait.

Le statut d'auto-entrepreneur est par définition individuel. Chaque micro-entrepreneur conserve son indépendance et sa propre clientèle. Une collaboration trop étroite et régulière pourrait être assimilée à la création d'une société, ce qui remettrait en cause les avantages du régime micro-social.

Pour rester dans le cadre légal, il est recommandé de limiter la collaboration à des projets ponctuels et spécifiques. Chaque auto-entrepreneur doit conserver son autonomie dans la gestion de son activité et de ses clients. La mise en commun des moyens (locaux, matériel) doit également rester occasionnelle.

Une collaboration régulière et permanente entre auto-entrepreneurs risquerait d'être requalifiée en société de fait par l'administration fiscale, avec des conséquences importantes en termes de charges sociales et fiscales.

Modalités de facturation et régime fiscal

La facturation est un point crucial à bien maîtriser lors d'une collaboration entre auto-entrepreneurs. Des règles précises doivent être respectées pour rester dans la légalité.

Émission de factures croisées

Lorsque deux auto-entrepreneurs travaillent ensemble sur un projet commun, chacun doit émettre sa propre facture au client final pour la partie de la prestation qu'il a réalisée. Il n'est pas possible d'émettre une facture commune.

Concrètement, cela signifie que le client recevra deux factures distinctes, une de chaque auto-entrepreneur, détaillant précisément les tâches effectuées par chacun. Le montant total sera réparti entre les deux factures en fonction de la contribution réelle de chaque intervenant.

Plafonds de chiffre d'affaires à respecter

Chaque auto-entrepreneur doit veiller à ne pas dépasser les plafonds de chiffre d'affaires imposés par le régime micro-social, même dans le cadre d'une collaboration. Pour 2023, ces plafonds sont de :

  • 77 700 € pour les activités de services et professions libérales
  • 188 700 € pour les activités de vente de marchandises
  • 77 700 € pour les activités de location meublée

En cas de dépassement de ces seuils deux années consécutives, l'auto-entrepreneur perd le bénéfice du régime micro-social et doit basculer vers un régime d'imposition classique.

Déclaration des revenus issus de la collaboration

Chaque auto-entrepreneur doit déclarer individuellement les revenus perçus dans le cadre de la collaboration, au même titre que ses autres revenus professionnels. Ces revenus sont soumis aux cotisations sociales et à l'impôt sur le revenu selon les règles habituelles du régime micro-social.

Il est important de bien conserver tous les justificatifs (factures, relevés bancaires) en cas de contrôle fiscal ou social. La traçabilité des flux financiers entre les auto-entrepreneurs collaborateurs doit être irréprochable.

Impact sur le statut fiscal de micro-entrepreneur

Une collaboration ponctuelle entre auto-entrepreneurs n'a pas d'impact particulier sur le statut fiscal, à condition de respecter les règles de facturation et les plafonds de chiffre d'affaires. En revanche, une collaboration trop étroite et régulière pourrait remettre en cause le statut d'indépendant et entraîner une requalification fiscale.

Il est donc recommandé de bien encadrer juridiquement la collaboration et de conserver des preuves de l'indépendance de chaque auto-entrepreneur (clientèle propre, matériel distinct, etc).

Formes de partenariat possibles

Plusieurs formes de partenariat peuvent être envisagées entre auto-entrepreneurs, en fonction de la nature et de la durée de la collaboration souhaitée.

Co-traitance sur des projets

La co-traitance est une forme de collaboration où deux auto-entrepreneurs interviennent conjointement sur un même projet, chacun apportant ses compétences spécifiques. Par exemple, un graphiste et un développeur web peuvent s'associer ponctuellement pour réaliser un site internet.

Dans ce cas, chaque auto-entrepreneur conserve son indépendance et facture directement sa prestation au client final. Un contrat de co-traitance peut être établi pour formaliser les modalités de la collaboration (répartition des tâches, délais, etc).

Groupement momentané d'entreprises (GME)

Le GME est une structure juridique permettant à plusieurs entreprises de s'associer temporairement pour répondre à un appel d'offres ou réaliser un chantier important. Cette forme est particulièrement adaptée pour les auto-entrepreneurs du bâtiment ou des travaux publics.

Le GME n'a pas de personnalité morale propre. Chaque membre conserve son indépendance juridique et fiscale. Un mandataire est désigné pour représenter le groupement auprès du client.

Portage salarial entre auto-entrepreneurs

Le portage salarial est une solution qui permet à un auto-entrepreneur de faire appel ponctuellement aux services d'un autre indépendant, tout en le rémunérant comme un salarié. Cette formule offre une grande souplesse et sécurité juridique.

L'auto-entrepreneur qui fait appel au portage salarial devient client d'une société de portage. Cette dernière salarie temporairement l'autre auto-entrepreneur et refacture la prestation. Ce montage évite tout risque de requalification en salariat déguisé.

Le choix de la forme de partenariat dépend de la nature du projet, de sa durée et du degré de collaboration souhaité entre les auto-entrepreneurs. Il est recommandé de bien formaliser les modalités de la collaboration pour éviter tout litige.

Contractualisation de la collaboration

Pour encadrer juridiquement une collaboration entre auto-entrepreneurs et éviter tout risque de requalification, il est vivement recommandé d'établir un contrat écrit. Ce document permettra de formaliser les modalités pratiques de la collaboration et de définir clairement les droits et obligations de chaque partie.

Le contrat de collaboration entre auto-entrepreneurs devrait notamment préciser :

  • L'objet précis de la collaboration et sa durée
  • Les missions et tâches confiées à chaque intervenant
  • Les modalités de facturation et de rémunération
  • Les moyens mis en commun (le cas échéant)
  • Les clauses de confidentialité et de non-concurrence

Il est conseillé de faire relire ce contrat par un avocat spécialisé pour s'assurer qu'il ne comporte pas de clauses pouvant être interprétées comme créant un lien de subordination entre les parties.

Le contrat devra notamment insister sur l'indépendance de chaque auto-entrepreneur dans la gestion de son activité et de sa clientèle propre. La collaboration ne doit pas être exclusive ni permanente pour éviter tout risque de requalification.

Responsabilités et assurances professionnelles

La question des responsabilités et des assurances est cruciale dans le cadre d'une collaboration entre auto-entrepreneurs. Chaque intervenant doit être couvert pour les risques liés à son activité.

Répartition des responsabilités civiles et pénales

En principe, chaque auto-entrepreneur est responsable individuellement des prestations qu'il réalise dans le cadre de la collaboration. Le contrat de collaboration doit clairement définir le périmètre d'intervention de chacun pour éviter toute ambiguïté en cas de litige.

Cependant, en cas de dommage causé au client final, ce dernier pourrait chercher à engager la responsabilité solidaire des deux auto-entrepreneurs. Il est donc important de bien encadrer contractuellement la répartition des responsabilités.

Couvertures d'assurance requises

Chaque auto-entrepreneur doit souscrire sa propre assurance responsabilité civile professionnelle, adaptée à son activité. Cette assurance couvrira les dommages éventuels causés dans le cadre de ses prestations.

Il peut être judicieux de vérifier que les contrats d'assurance respectifs couvrent bien le cas d'une collaboration ponctuelle avec un autre professionnel. Certains assureurs proposent des extensions de garantie spécifiques pour ce type de situation.

Cas de la garantie décennale dans le bâtiment

Pour les auto-entrepreneurs du bâtiment, la garantie décennale est obligatoire. En cas de collaboration sur un chantier, chaque intervenant doit être couvert individuellement par sa propre assurance décennale pour les travaux qu'il réalise.

Le contrat de collaboration devra préciser clairement la répartition des tâches pour déterminer qui est responsable de quelle partie de l'ouvrage en cas de sinistre relevant de la garantie décennale.

Évolution possible vers d'autres statuts juridiques

Si la collaboration entre auto-entrepreneurs s'inscrit dans la durée et prend de l'ampleur, il peut être opportun d'envisager une évolution vers d'autres statuts juridiques plus adaptés.

Plusieurs options sont alors possibles :

  • Création d'une société (SARL, SAS) pour formaliser l'association
  • Passage en EIRL pour l'un des auto-entrepreneurs qui emploierait l'autre
  • Constitution d'un groupement d'intérêt économique (GIE)

Le choix dépendra du projet commun, des perspectives de développement et des aspirations de chaque entrepreneur. Il est recommandé de se faire accompagner par un expert-comptable ou un avocat pour choisir la structure la plus adaptée.

L'évolution vers un autre statut juridique permettra de pérenniser la collaboration tout en bénéficiant d'un cadre légal plus sécurisant. Elle ouvrira également de nouvelles perspectives en termes de développement commercial et de croissance.

En conclusion, la collaboration entre auto-entrepreneurs est tout à fait possible, à condition de bien en maîtriser les aspects juridiques, fiscaux et pratiques. Une contractualisation claire et le respect des règles de facturation sont essentiels pour éviter tout risque de requalification. Avec les bonnes précautions, l'association de compétences entre indépendants peut être un formidable levier de développement.